Les plateformes intelligentes : vers un nouveau paradigme pour les fournisseurs d’énergie

La montée en puissance de nouveaux fournisseurs plus agiles, avec un positionnement low cost ou la volonté de personnaliser davantage les offres se heurte aux solutions de gestion des éditeurs historiques, souvent chères, complexes à mettre en œuvre et peu évolutives.  

L’apparition « plateformes métier intelligentes » représentent une réponse à cette équation complexe. Elles promettent une solution intégrée, couvrant les processus essentiels de vente et la facturation, mais également la prise en charge de nouvelles modalités contractuelles (box domotiques, flexibilités, PPA, autoconsommation, garanties d’origine…), voire l’intégration d’autres métiers (interventions terrain) avec une mise en œuvre simplifiée.  

Ces plateformes métier intelligentes visent à couvrir la chaîne de valeur énergétique de manière plus intégrée. Leur première contribution majeure réside dans leur capacité à croiser les données issues de multiples sources (clients, équipements, opérateurs de réseaux) pour les rendre exploitables en temps réel. Cela permet non seulement une meilleure réactivité opérationnelle, mais aussi l’émergence de nouveaux services, personnalisés et à plus forte valeur ajoutée. 

En fournissant un socle technologique stable, évolutif et interopérable elles contribuent à la rationalisation des coûts IT et incitent les fournisseurs à se concentrer sur leur métier de base plutôt que sur le pilotage de développements IT : la relation et l’écoute client, la performance du sourcing et l’innovation en termes de modèles d’affaire. Enfin, ces plateformes permettent une meilleure orchestration des flexibilités, un levier indispensable à l’équilibre d’un système électrique de plus en plus contraint. 

Plusieurs acteurs ont émergé dans ce domaine : Kraken (Octopus Energy), Kaluza (OVO), Hansen Technologies, Powercloud… Leur développement rapide est lié à des marchés plus libéralisés, des consommateurs plus volatils et un contexte économique qui se détend, après la crise des années 2021-2022. 

Si l’écosystème anglo-saxon offre un terreau favorable à l’essor de ces plateformes, le contexte français, lui, reste plus complexe. Entre spécificités structurelles, particularités réglementaires et comportements consommateurs, le rythme d’adoption diffère sensiblement. 

Comprendre ces décalages est essentiel : ils permettent de mieux cerner les conditions d’émergence d’un modèle français viable, et d’identifier les leviers – qu’ils soient technologiques, économiques ou culturels – pour accompagner cette transformation du système énergétique vers plus d’intelligence, de flexibilité et de personnalisation. 

La cartographie ci-dessous permet de voir une vue des différents éditeurs, des acteurs historiques qui tentent de transformer leurs modèles pour s’adapter au nouveau paradigme aux acteurs disruptifs qui proposent des solutions clés en main et une approche holistique.

L’analyse des acteurs SAP Utilities, TriPica et Kraken révèle des différences marquées dans la couverture fonctionnelle, qui reflètent leur positionnement technologique et stratégique sur le marché. 

SAP Utilities représente les fournisseurs traditionnels avec une suite complète (CRM, ERP) mais souffre d’une certaine rigidité. Sa couverture fonctionnelle est historiquement large, incluant la gestion des clients, des contrats, de la facturation et des compteurs. Cependant, l’ensemble repose encore sur des modules hérités ayant peu évolué. La migration et la transition vers le cloud nécessite des intégrateurs tiers, ce qui augmente les délais de mise en œuvre et les coûts. 

TriPica, plateforme spécialisée cloud native, affiche une proposition ciblée sur l’expérience client et les fonctions front-end comme l’onboarding, la gestion des produits et des tarifs, et la facturation. Elle permet une mise en œuvre rapide et sans rupture majeure dans l’architecture SI de l’entreprise. Cependant, elle ne couvre pas toutes les couches techniques comme la gestion des actifs ou le pilotage énergétique, ce qui peut limiter son déploiement à l’échelle sur l’ensemble du cycle de valeur. 

Enfin, Kraken se distingue par une couverture fonctionnelle très étendue, intégrant CRM, onboarding, gestion des produits, des compteurs, facturation, paiements, et même optimisation des actifs et des flexibilités. Sa logique full SaaS, son modèle opérationnel intégré et son approche « Plug & Play » en font un acteur à part. Kraken combine profondeur fonctionnelle et souplesse de déploiement, ce qui en fait aujourd’hui la plateforme la plus complète et mature sur le marché 

Les plateformes intelligentes qui réussissent à passer à l’échelle partagent plusieurs caractéristiques clés, indépendamment de l’acteur qui les développe. Elles sont généralement conçues autour d’un modèle cloud natif, avec une logique modulaire qui permet d’intégrer progressivement des fonctionnalités critiques : CRM, facturation, gestion des points de livraison, efficacité énergétique, pilotage et valorisation des flexibilités. 

Elles proposent des approches opérationnelles renouvelées : automatisation de la relation client, standardisation des processus de back-office, intégration native des données et recours croissant à l’intelligence artificielle. Certaines plateformes s’appuient sur des équipes internes et des feuilles de route collaboratives avec leurs clients, d’autres sur un écosystème de partenaires ou d’intégrateurs. Certains souhaitent également pousser le modèle jusqu’à proposer une offre de fourniture en marque blanche (modèle « Business process outsourcing »). 

La capacité de ces solutions à s’adapter à différents modèles de marchés nationaux, à offrir des cycles courts de mise à jour et à accompagner les mutations du modèle énergétique fait aujourd’hui leur force. Toutefois, leur mise en œuvre suppose un engagement fort des fournisseurs, notamment en matière de transformation culturelle, de gouvernance SI et d’adaptation des compétences internes. 

Changement de culture de l’organisation 

Déployer une plateforme intelligente impose bien plus qu’un changement technologique : c’est une transformation en profondeur du fonctionnement de l’entreprise. Elle requiert une évolution culturelle vers une organisation plus collaborative, agile et centrée sur le client. Cela implique de rompre avec les silos fonctionnels, d’adopter une logique produit pilotée par la donnée, et de renforcer la transversalité entre les métiers et les équipes IT. 

Pour réussir cette transformation, un accompagnement structuré du changement est essentiel. Il passe par l’implication des managers, une gouvernance claire, une communication transparente et des dispositifs de formation adaptés. Les collaborateurs doivent être préparés aux nouveaux outils, mais aussi à de nouvelles postures : autonomie renforcée, amélioration continue, travail en cycles courts. C’est en ancrant cette nouvelle culture dans les pratiques que l’entreprise pourra tirer pleinement parti du potentiel des plateformes intelligentes et inscrire sa transformation dans la durée. 

Transformation du modèle opérationnel 

Passer à une plateforme intelligente impose une refonte complète du modèle opérationnel. Les équipes (DSI, marketing, service client, commerce) doivent être restructurées autour de nouveaux rôles, plus transverses et agiles. Il s’agit d’intégrer la plateforme tout en assurant la continuité des opérations, ce qui suppose une gouvernance de transformation robuste et une gestion fine du changement.

Impact sur le marketing 

Les équipes marketing doivent se réinventer pour tirer pleinement parti des capacités de la plateforme : réduction du time-to-market, personnalisation des offres et hyper-segmentation, pilotage temps réel des campagnes. L’accès à des données plus fines ouvre la voie à un marketing plus stratégique et centré sur la valeur client.

Maîtrise de la donnée et des systèmes d’information 

La DSI joue un rôle clé dans la réussite du projet. Elle doit orchestrer l’intégration technique tout en gardant le contrôle sur des enjeux stratégiques : sécurité, gouvernance des données, interopérabilité avec les systèmes existants. La centralisation de certaines fonctions dans la plateforme pousse la DSI à évoluer vers un rôle plus stratégique et moins opérationnel.

Expérience client et performance : deux moteurs de la transformation 

L’introduction d’une plateforme intelligente améliore sensiblement l’expérience client : temps de réponse réduit, conseils personnalisés, fluidité des interactions, autonomie accrue via des interfaces digitales performantes. Ces améliorations doivent être mesurées à travers des indicateurs précis (NPS, taux de résolution au premier contact, taux d’auto-usage…). 

Côté opérationnel, les plateformes permettent d’optimiser l’ensemble de la chaîne énergétique : pilotage des flexibilités, gestion de la production distribuée, intégration d’objets connectés. Les gains se traduisent en efficacité opérationnelle, réduction des coûts, et meilleure maîtrise des pics de demande.

Une brique stratégique pour la croissance 

Enfin, ces plateformes ne sont pas seulement des outils technologiques : elles deviennent un levier de croissance. En réduisant les coûts opérationnels, en accélérant la mise sur le marché de nouvelles offres, et en priorisant la fidélisation client, elles ouvrent de nouvelles perspectives : lancement de services à valeur ajoutée, conquête de nouveaux segments, partenariats stratégiques, voire expansion internationale.