L’énergie, un des secteurs les plus pollueurs au monde : quelles évolutions ?
Avis d'experts
28 juin 2024
Le secteur de l’énergie est un des secteurs les plus pollueurs au monde (42% des émissions de gaz à effet de serre), pourquoi et comment ces grandes firmes sont-elles obligées d’évoluer sans recourir au greenwashing ?
Dernièrement, 27 grands actionnaires de Shell, comme Amundi, ont déposé une résolution demandant à la major pétrolière d’aligner ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre en conformité sur ceux de l’accord de Paris. Si cette résolution a peu de chance d’être votée cette fois, combien de temps encore pourront résister les entreprises du secteur de l’énergie aux demandes de leur employés, de la société civile et de leurs actionnaires ?
Un faisceau grandissant de contraintes
L’Accord de Paris, négocié en 2015 lors de la COP21, marque une profonde inflexion dans les politiques climatiques. Pour la première fois 198 pays s’engagent à établir des trajectoires de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre et, pour la plupart d’entre eux, à rendre ces règles contraignantes à travers leur réglementation nationale.
Au sein de l’Union Européenne, les pays membres ont depuis mis en place une série d’instruments, principalement centrées sur le CO2 :
- Fixation d’objectifs d’émission au niveau communautaire, visant aujourd’hui à atteindre la « neutralité carbone » à l’horizon 2050, soit une division par 6 des émissions par rapport à 1990,
- Ventilation de ces objectifs au niveau des états (« budgets carbones », traduits en France par la Stratégie Nationale Bas Carbone), puis par secteur d’activité, à travers les Plans nationaux d’allocation des quotas (PNAQ),
- Obligation faite aux principaux acteurs économiques de mesurer et de publier leurs émissions, dans le cadre de leur reporting extra-financier (le récent règlement CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) étend cette obligation aux 50 000 plus grosses entreprises européennes à partir 2024),
- Renchérissement progressif des activités les plus polluantes grâce à la mise en place d’un marché de quotas d’émission (EU-ETS) pour les grandes entreprises et, pour les plus petites et les particuliers, une taxation des énergies carbonées, qui n’est pas sans poser des problèmes d’acceptabilité.
Des incitations plus indirectes apparaissent, comme la taxonomie européenne qui oblige les entreprises à publier la part de leurs activités défavorables à l’environnement et, pour les investisseurs, la part de leurs actifs. La taxonomie vise d’abord à réduire les fausses affirmations (greenwashing), en définissant à l’échelle communautaire ce qui est une activité « non verte » ; elle va également contraindre à sortir de l’ambiguïté les adeptes du greenhushing, entreprises qui taisent sciemment les conséquences de leur activité. En France, le label « Investissement Socialement responsable » qui permet aux épargnants de distinguer les fonds qui contribuent au développement durable voit ainsi ses critères de sélection renforcés depuis le 1er mars 2024. Le financement des projets en lien avec les hydrocarbures doit ainsi se complexifier.
Au-delà de ces contraintes normatives, la guerre des talents auxquels se livrent les entreprises les oblige à renforcer leur marque employeur à travers des engagements, et des résultats, en matière de RSE.
Les énergéticiens sont aux premières loges de cette transformation
Les procédés de production et de transformation de l’énergie sont la première source d’émissions de CO2 dans le monde avec 43% du total en 2021 selon l’AIE. En y intégrant les émissions dues à la consommation (transport, chauffage, industrie, etc.) on atteint 77%. Les acteurs de l’énergie, qu’ils soient producteurs, gestionnaires de réseau, fournisseurs ou opérateurs de service ont tous un rôle à jouer, l’évolution de nos usages étant corrélée à une évolution de leur offre.
En tant que producteurs, ils sont en mesure de contribuer à l’évolution du mix énergétique. Si la production d’électricité est aujourd’hui largement décarbonée en France, grâce au nucléaire et aux énergies renouvelables, le gaz et le pétrole représentent encore plus de 60% des usages et la plus grande part de notre déficit commercial. Une large partie de ces usages peut être électrifiée : le chauffage, la production de froid, les véhicules légers. Il est donc nécessaire de poursuivre le développement de nouvelles capacités de production électrique bas-carbone, mais également de renforcer le maillage des réseaux de chaleur et de froid urbain, basés sur la géothermie ou la biomasse, et de renforcer la part de biométhane dans les réseaux de gaz – ce gaz renouvelable pouvant également servir de carburant pour la mobilité lourde ou la chaleur industrielle. D’autres vecteurs sont explorés, comme l’hydrogène et les carburants de synthèse, mais leur coût de revient restera durablement élevé, les réservant à des usages spécifiques – comme l’aviation, qui reste un des secteurs les plus complexe à décarboner. Pour atteindre le « zéro émission », voire permettre des émissions négatives, aucune piste ne peut être ignorée, du développement des puits de carbone naturels aux solutions de capture et stockage du CO2 en sortie des installations industrielles. La construction d’une infrastructure globale d’acheminement et de stockage du CO2 est un nouveau terrain de jeu pour les acteurs de l’énergie.
La transition énergétique n’impose pas seulement de consommer autrement, elle implique de consommer moins et de consommer mieux. Les fournisseurs sont déjà incités à réduire la consommation de leurs clients (Certificats d’économie d’énergie), c’est l’opportunité pour eux d’y associer une offre de service incluant des engagements contractuels (Contrats de performance énergétique). Une approche similaire devra être mise en place pour réduire les émissions. En matière d’électricité, consommer mieux c’est également faire évoluer ses habitudes pour consommer au moment où la production est la moins carbonée – en dehors de heures de pointe. Cela nous impose de redévelopper une tarification horo-différenciée et d’offrir à tous les consommateurs les moyens de piloter et programmer leur consommation, ainsi nous pourrons construire un marché de la flexibilité qui adresse une base de clients beaucoup plus large qu’aujourd’hui.
Energéticiens comme consommateurs doivent aujourd’hui se fixer des objectifs clairs et mesurables, en ligne avec les accords internationaux et validés par des tiers indépendants (tels que la Science Based Targets initiative – SBTi, qui a finalisé ses recommandations pour le secteur Electrique et est en train de finaliser le secteur Oil & Gas). Il leur revient également d’intégrer la durabilité dans la gouvernance d’entreprise et dans la définition de leur offre, et de communiquer de manière transparente sur les progrès réalisés en matière de durabilité et soumettre leurs rapports à des audits externes.
Ces acteurs peuvent collaborer avec des organisations non gouvernementales, des institutions de recherche et d’autres entreprises pour développer de nouvelles solutions et diffuser les meilleures pratiques.
Les grands énergéticiens français se sont tous engagés dans le développement des énergies renouvelables, mais le rythme de ces progrès est contesté. Dans le passé ils ont démontré leur capacité à orienter le marché, sur le choix des motorisations ou du chauffageleur rôle est désormais de rendre possible la transition énergétique en travaillant de front sur les solutions technologiques et l’évolution des habitudes de consommation.