DSI : comment concilier Cloud Computing et développement durable ?
Avis d'experts
03 avril 2023
Selon la commission européenne, la consommation énergétique des datacenters en 2030 est estimée à 98,5TWh/an*0, ce qui représente une augmentation de 25% par rapport à 2018.
Depuis leur origine, les datacenters ont pour objectif de mutualiser les serveurs et tous les matériels nécessaires aux communications à grande échelle. Ce mouvement avait été initié il y a plus de 40 ans, lorsque les Directions Informatiques cherchaient à optimiser les coûts de fonctionnement au sein de l’entreprise. Les premiers fournisseurs d’hébergement (dans les années 80, les ASP – Application Services Providers) ont vu l’opportunité d’offrir à leurs clients des services de gestion de leurs parcs de serveurs et d’assurer pour leurs comptes la maintenance de l’infrastructure (on parle d’infogérance). Petit à petit, ces hébergeurs ont enrichi leurs offres de services tout en optimisant leur fonctionnement. La croissance exponentielle des communications sur Internet a permis de relier des serveurs d’un bout du monde à un autre à moindre coût, attirant toujours plus de clients, intégrant toujours plus de serveurs, toujours plus puissants, chauffant toujours plus et donc … consommant toujours plus de ressources électriques et d’eau.
Une étude de Gartner montre que le développement durable figure parmi les 10 principales priorités des PDG en 2022*1. Face à des clients de plus en plus soucieux de leurs impacts environnementaux, les fournisseurs d’hébergement proposent de nouveaux services et communiquent largement sur leur engagement environnemental.
Quels sont leurs engagements et comment les comprendre ? Comment peuvent-ils accompagner les DSI à faire des choix durables ? Autant de questions auxquelles nous tenterons d’apporter des éléments de réponse.
Comprendre les données environnementales
L’empreinte environnementale est définie comme la quantité des émissions de gaz à effet de serre générées par l’activité d’une organisation, ramenées à l’étalon carbone. Elle est le résultat d’un produit ou d’un service technologique donné qui englobe trois champs d’émissions :
Scope 1 : émissions directes provenant de sources possédées ou contrôlées (on-site energy)
Scope 2 : émissions indirectes provenant de la production d’énergie achetée (purchased energy)
Scope 3 : toutes les émissions indirectes (non incluses dans la portée 2) qui se produisent dans la chaîne de valeur de la société déclarante, y compris les émissions en amont (supply chain : équipements informatiques, transportation) et en aval (consommateurs : production des déchets, product EOL – fin de vie -,traitement).
Comme le souligne Gartner, “les émissions du Scope 3 sont les plus difficiles à mesurer, mais dans certaines entreprises, elles peuvent représenter plus de 95 % des émissions totales”. Gartner s’attend à ce que les technologies de mesure de l’empreinte carbone soient largement adoptées à mesure que les entreprises élargissent leur champ d’action aux trois types d’émissions et augmentent la transparence de leurs rapports.
Les indicateurs de performance environnementale
Afin de permettre le calcul de l’empreinte environnementale, plusieurs indicateurs sont à disposition. Le premier indicateur est le Power Usage Effectiveness. Il mesure l’efficience du datacenter. Plus le site est performant, plus le résultat tend vers 1. Des indicateurs plus faibles sont généralement considérés comme étant plus efficaces sur le plan énergétique. À titre d’exemple, Microsoft communique sur l’efficacité énergétique de chaque région où ses datacenters sont implantés.
Le suivant est le Water Usage Effectiveness (WUE) qui évalue l’utilisation de l’eau par les datacenters. Le calcul de cet indicateur se base sur l’eau utilisée par le datacenter et l’électricité fournie au matériel informatique. Un rapport du département américain de l’Énergie (US Department of Energy) indique que le WUE d’un datacenter moyen est de 1,8 litre pour 1 kWh*2. Les datacenters qui consomment peu d’eau afficheraient un WUE de 0,2 L / kWh.
La combinaison du PUE et du WUE semble assez complète pour montrer l’efficacité d’un datacenter. Toutefois, nous y ajouterons un dernier indicateur qui est le Carbon Usage Effectiveness (CUE). Ce dernier quantifie l’intensité du carbone au sein du datacenter et s’exprime en Kg de CO2. D’autres variables sont à prendre en considération comme la source de l’énergie (fossile ou renouvelable) ou encore les processus de recyclage où seulement 20% de tous les équipements IT sont recyclés proprement. *3
Une demande d’actions de plus en plus prégnante par les DSI
Les entreprises sont déterminées à réduire leurs impacts environnementaux. Cela se traduit par une augmentation de 90% des investissements dans des programmes de durabilité. Les parties prenantes comme les investisseurs, les employés ou les régulateurs ont des attentes sur la façon dont les entreprises répondent à cette demande d’actions concrètes. Cette détermination touche toutes les fonctions de l’entreprise dont les DSI, qui intègrent cette volonté dans leur stratégie de mise en œuvre d’une infrastructure Cloud Computing durable.
Au-delà des bénéfices déjà connus apportés par le Cloud Computing, une approche durable peut permettre une réduction jusqu’à 84% des émissions de CO2. Dans ce cadre, Gartner prévoit que d’ici 2025, les émissions de carbone des services de cloud seront l’un des trois premiers critères dans les décisions d’achat de services Cloud*4. Il estime également qu’au cours des trois prochaines années, les fournisseurs cloud seront soumis à une pression croissante pour avoir une stratégie transparente en matière de climat et une feuille de route claire. Il n’est donc pas surprenant de voir une augmentation de 92% des investissements dans la durabilité de la part des hyperscalers*5.
Quelles sont les réponses apportées par les fournisseurs de Cloud Computing ?
L’engagement des fournisseurs de Cloud Computing se concrétise à travers trois axes :
- La mise à disposition d’outils de performance sur lesquels la DSI peut s’appuyer pour estimer, contrôler et optimiser l’efficacité énergétique liée à la charge de ses activités informatiques hébergées. Par exemple, Google Cloud Platform (GCP) met à disposition la « suite Carbon Sense ». Il s’agit d’un regroupement de fonctionnalités telles que Carbon Footprint, qui mesure et optimise les émissions carbones, et Active Assist, qui identifie les ressources inutilisées. Toutefois, l’exercice a ses limites puisque les méthodes de calcul divergent d’un cloud provider à un autre, rendant quasi impossible toute comparaison.
- La proposition de programmes d’accompagnement. Le but est d’accompagner les DSI dans l’amélioration de l’efficacité énergétique de leurs applications et services cloud consommés. Par exemple, le programme AWS Cloud Adoption Framework for Energy Efficiency (CAFEE) fournit des recommandations sur la manière d’optimiser l’utilisation de l’énergie dans le cloud et le programme AWS Carbon Offset Programme permet aux clients de compenser leur empreinte carbone en soutenant des projets de développement durable. AWS, dans son guide Optimizing your AWS Infrastructure for Sustainability, donne ses clés pour construire une architecture « durable » optimisée sur ses services de calcul, stockage, réseaux à base d’auto-scaling, de cost explorer et d’architecture serverless ou event-driven.
- Innover afin de favoriser l’usage des énergies renouvelables. Par exemple, l’entreprise française Qarnot propose des serveurs hébergés dans des “radiateurs” afin de récupérer leurs chaleurs. Le fournisseur de cloud français valorise à hauteur de 96% la chaleur dégagée par ces serveurs directement là où elle est nécessaire dans des bâtiments, réseaux de chaleur, piscines, industries.
Jouer la transparence pour une relation durable
Les hyperscalers communiquent à grande échelle pour afficher leurs engagements auprès du grand public et des professionnels à travers les médias, les conférences annuelles ou encore leurs sites internet. Par exemple, AWS a annoncé son souhait d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040 lors de sa conférence tandis que Microsoft a communiqué en 2020 sur son objectif de réduire ses émissions d’ici 2030 dans le cadre de son programme Transform to Net Zero. Google se dit déjà neutre depuis 2007.
Ces campagnes sont un moyen de répondre aux attentes des DSI en mettant à disposition des informations sur leurs engagements et des outils permettant de connaître l’impact des services utilisés par rapport aux émissions de gaz à effet de serre. Or, comme nous l’avons vu plus haut, le résultat des outils de mesures des fournisseurs de Cloud Computing peuvent être discutables en raison de l’absence d’une méthode de calcul standardisée.
Cependant, il faut prendre du recul sur le greenwashing (messages marketing qui donnent une image trompeuse des responsabilités écologiques) vs une démarche innovante pour réduire les consommations des énergies. Des expressions comme « zéro émission nette », « bilan neutre », ou encore « carbone négatif » font référence à une compensation entre les absorptions et les émissions. Or, ce n’est bien que les émissions de CO2 (parmi d’autres gaz à effet de serre) qui sont à l’origine du réchauffement climatique.
L'essentiel
L’entreprise, par l’intermédiaire de son DSI, peut réduire son empreinte environnementale à l’aide des nouveaux services du Cloud Computing. C’est devenu la priorité !
En conséquence, les fournisseurs de Cloud Computing investissent dans de nouveaux services « durables », des infrastructures moins énergivores et proposent des programmes d’accompagnement.
Il est toutefois important de noter que le bilan environnemental de ces activités dépend de nombreux facteurs, comme des choix technologiques (architectures, logiciels, régions géographiques), qui doivent être anticipés.
Dès aujourd’hui, les DSI ont les moyens de jouer un rôle clé dans la performance environnementale de l’entreprise.
*0 Rapport de la CE intitulé les « technologies et politiques efficaces sur le plan énergétique d’informatique en cloud »
*1 2022 Gartner CEO and Senior Business Executive survey – https://lesactualites.news/technologie-et-science/rapport-le-developpement-durable-est-lune-des-10-principales-priorites-des-pdg-cette-annee/
*2 La question de l’eau dans le datacenter : vers un WUE ? – DCmag (datacenter-magazine.fr) / https://eta.lbl.gov/publications/united-states-data-center-energy-usag
*3 Global e-waste monitor 2017
*4 Rapport de janvier 2022 “Gartner Predicts Hyperscalers Carbon Emissions Will Drive Cloud Purchase Decisions by 2025”
*5 Rapport Gartner – 2020 Gartner Sustainability Survey
Auteure
Marie-Lucie Anfray, Consultante Senior
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