Concurrence TGV, vers un système ferroviaire numérique, durable et performant ?

Trois grands modèles opérationnels émergent aujourd’hui en France. La SNCF maintient un positionnement hybride avec ses deux marques : TGV InOui, axée sur la qualité premium, et Ouigo, orientée low-cost avec des prix attractifs. Ce modèle multi-cibles permet à la SNCF de rester dominante sur tous les segments, mais l’oblige à absorber une structure de coûts lourde, notamment liée aux charges de personnel et aux péages parmi les plus élevés d’Europe.

 

En parallèle, Trenitalia se distingue par une stratégie premium offensive.
En misant sur une offre de confort élevé et une tarification dynamique compétitive, l’opérateur italien a transporté plus de deux millions de voyageurs en France malgré une perte financière de 34 millions d’euros en 2022 (BFMTV). Son développement reste limité par l’accès restreint aux meilleurs sillons et une montée en charge progressive.

 

De son côté, Renfe développe une stratégie d’expansion transfrontalière progressive.
Son implantation en France repose sur des dessertes internationales de qualité à prix concurrentiels, mais son déploiement est freiné par des obstacles techniques : homologation des matériels roulants et intégration aux systèmes d’information français.

 

L’exemple allemand illustre un autre scénario. En Allemagne, la Deutsche Bahn (DB) reste largement dominante malgré l’ouverture à la concurrence, grâce à une position historique forte, une marque solidement implantée et une intégration verticale (exploitation, infrastructures, services). Les opérateurs privés, comme FlixTrain, peinent à s’imposer : leur présence reste limitée à quelques lignes avec des fréquences réduites, et leur modèle économique repose davantage sur une logique opportuniste de niche que sur une offre de masse. Cette situation met en évidence que l’ouverture du marché ne garantit pas mécaniquement l’émergence d’une concurrence significative, surtout lorsque l’opérateur historique conserve un avantage structurel sur l’accès aux sillons, aux infrastructures et aux systèmes d’information.

 

Tous ces modèles partagent des défis communs : maintenir la rentabilité face à une guerre des prix, garantir une qualité de service durable, assurer l’interopérabilité des systèmes et répondre à la saturation croissante des infrastructures. L’innovation technologique et une expérience client fluide deviennent des leviers essentiels pour se différencier.

L’accélération concurrentielle intensifie les défis systémiques. La saturation des infrastructures, notamment sur Paris-Lyon, impose une modernisation des systèmes de gestion pour augmenter la capacité de 25 % d’ici 2030 (SNCF Réseau). Cela exige une meilleure planification et une coordination renforcée entre opérateurs.

 

L’interopérabilité reste essentielle. Chaque nouvel entrant doit adapter ses trains aux systèmes nationaux de signalisation et de sécurité, entraînant des coûts importants. L’Union Européenne soutient l’harmonisation des systèmes, avec 120 millions d’euros investis sur la ligne Paris-Lyon (SNCF Réseau).

 

Par ailleurs, la multiplication des systèmes d’information pourrait fragmenter l’expérience client.
Pour garantir la fluidité des parcours et une simplicité d’achat, les plateformes de distribution doivent évoluer vers des solutions interopérables et communes. Une billettique intégrée (systèmes de distribution et d’achat de billets), des programmes de fidélité compatibles et des informations voyageurs harmonisées sont essentiels pour éviter une dégradation de l’expérience client.

Face à la recomposition rapide du marché de la grande vitesse, garantir la soutenabilité du modèle ferroviaire exige une vision stratégique structurée autour de trois leviers essentiels.

 

1. Investir dans l’infrastructure technologique et numérique

L’augmentation de capacité sur les axes saturés, comme Paris-Lyon, impose une modernisation poussée des systèmes de gestion, de signalisation et d’exploitation.
Ces investissements doivent aussi cibler les outils numériques, notamment l’IA pour l’allocation des sillons, la supervision temps réel et la maintenance prédictive. Une infrastructure digitale performante est le socle d’un réseau agile et interopérable.

 

2. Favoriser une coopération interopérable et régulée

L’interopérabilité technique – matérielle, logicielle, informationnelle – est indispensable pour éviter la fragmentation du réseau. Cela suppose une adoption cohérente des normes européennes (ERTMS, NeTEx, SIRI), soutenue par une gouvernance partagée entre opérateurs, autorités publiques et gestionnaires d’infrastructure.
L’objectif : garantir un fonctionnement fluide, quelle que soit la combinaison d’acteurs.

 

3. Renforcer l’expérience client et la qualité de service

La durabilité du TGV ne se limite pas à la performance technique : elle repose aussi sur l’attractivité perçue par les voyageurs. Il faut donc maintenir une qualité de service homogène malgré la concurrence, coordonner les correspondances, fluidifier la billettique et digitaliser les parcours. La fidélisation repose sur la régularité, la transparence tarifaire, et l’innovation dans les services à bord comme en gare.

Les technologies numériques s’imposent comme la clé de voûte de cette transformation.
Les plateformes digitales multi-opérateurs, comme Trainline, facilitent l’accès des voyageurs aux différentes offres et apportent plus de transparence.

 

L’Intelligence Artificielle optimise la gestion des sillons et permet une adaptation en temps réel aux conditions d’exploitation. Elle améliore également la prévision de la demande et personnalise les offres. Les jumeaux numériques offrent une avancée majeure en maintenance prédictive, en réduisant les défaillances et en maximisant la disponibilité des trains.

 

Un écosystème ouvert de partage des données entre opérateurs, gestionnaires d’infrastructures et autorités devient indispensable pour fluidifier l’exploitation et améliorer la gestion des correspondances. La coopération numérique sera déterminante pour la robustesse du réseau et la satisfaction des usagers.

Les retours des marchés italien et espagnol démontrent que l’ouverture à la concurrence a des effets positifs immédiats : en Italie, le nombre de passagers sur les lignes à grande vitesse a doublé en dix ans et les prix ont baissé en moyenne de 40 %.

 

En Espagne, la concurrence a généré une croissance de la fréquentation de +30 % à +40 % sur les axes concernés, avec des prix réduits de près de moitié sur certaines lignes.

 

Toutefois, ces expériences mettent aussi en évidence les risques d’une guerre des prix prolongée.
En Espagne, les pertes cumulées des nouveaux entrants ont atteint 600 millions d’euros en deux ans, fragilisant leur modèle économique. La situation suggère la nécessité d’une régulation intelligente, permettant de préserver la viabilité financière des opérateurs tout en garantissant des tarifs accessibles et une qualité de service élevée.

Arnaud Mac Farlane, Principal Conseil Transport & Mobilités, Magellan Consulting

Maria Clara Restrepo, Consultante Senior Transport, Mobilités & Energie, Magellan Consulting